Immobilier : le télétravail va-t-il bouleverser le marché des bureaux ?

La crise sanitaire que nous traversons a accéléré une mutation profonde de nos modes de travail : les outils « digitaux » ont prouvé leur capacité de substitution au travail « présentiel ». Le télétravail s’est installé comme une alternative naturelle, et désormais durable. Les entreprises doivent gérer ses conséquences humaines et organisationnelles, et en tirer les conséquences sur la gestion de leurs locaux.

Le marché des bureaux : une évolution constante permanente

Les mutations des besoins immobiliers des entreprises ne datent pas d’hier. Dès le milieu des années 2000, l’avènement du e-commerce a contraint le secteur de la distribution à se réinventer. Les fonds spécialisés sur le commerce ont dû adapter leurs stratégies pour anticiper ces grands mouvements, ils affichent aujourd’hui des performances comparables aux autres.

Les bureaux évoluent aussi. Ils se concentrent de plus en plus dans les grandes villes. Cette tendance à la « métropolisation » favorise les villes dont l’économie est multi-sectorielle (tourisme, commerce de détail, industrie…). En France, on peut citer Paris, Lyon, Nantes ou Rennes ; en Europe, les principales capitales… Ces évolutions structurelles, lentes parce que sociétales, ont donc des conséquences tangibles sur les marchés immobiliers.

La crise sanitaire a accéléré l’obsolescence des bureaux avec de nouvelles attentes de la part des utilisateurs. La demande se déplace davantage vers des bureaux « hybrides », avec une augmentation des espaces collaboratifs. Les surfaces s’adaptent selon des critères de bien-être (qualité de l’air, lumière du jour…), de performance énergétique (certifications HQE(2), BREEAM(3)…), avec plus de services intégrés ou à proximité immédiate : restauration, espaces de détente, crèche… Le bureau devient un lieu de vie.

Les vraies conséquences du télétravail

Avec moins de salariés présents en même temps dans ses bureaux, l’entreprise locataire sera tentée de réduire la surface de ses locaux. Elle commencera par réaménager ses surfaces pour les adapter à ces nouveaux usages, et conserver son attractivité vis-à-vis de ses candidats à l’embauche. Puis elle planifiera peut-être un déménagement, envisageant alors une résiliation de son bail à l’issue de sa période triennale, sans omettre de provisionner les travaux nécessaires à une réinstallation… On voit combien ce phénomène est inertiel et ne concernera pas tous les utilisateurs de bureaux.

Réduire sa surface de bureaux, c’est réduire la surface par salarié : avec 9 m² à Paris, on est déjà très proche du plancher (record détenu par Londres avec 7 m²). Notons que cet indicateur ne fait que baisser depuis près de 20 ans.

Le marché des bureaux sera-t-il bouleversé par le télétravail ?

Par économie bien sûr mais également parce que les comportements changent : en 2003, une étude(4) révélait qu’à New-York, 20% de la population active travaillait déjà à distance au moins un jour par semaine ! Le télétravail concerne aujourd’hui 35% des salariés à Amsterdam, près de 25% à Paris, Londres ou Bruxelles quand il s’établit à seulement 5% à Milan par exemple…

La tendance d’un télétravail à temps partiel est pourtant bien lancée. Les surfaces de bureaux nouvellement louées en Ile-de-France sont d’environ 2,5 millions de m² par an. Une étude de l’IEIF parue le 11 janvier 2021 estime que l’impact sur les 10 prochaines années pourrait être de 350.000 m² par an, soit une baisse de 14%. Sur la durée, une telle érosion aurait un impact mineur sur le niveau des loyers.

Et la conjoncture économique ?

Les centaines de milliards d’euros déversées dans l’économie par les Banques Centrales remontent en partie jusqu’aux fonds d’investissement, qui doivent les investir. Cette pression acheteuse est un soutien durable des prix des actifs : l’inflation ne passera vraisemblablement pas par une hausse des salaires ni des prix des biens de consommation, mais davantage par la valorisation des actifs immobiliers.

En cas de crise ou tension économique, un affaissement temporaire des loyers, voire des prix, n’est cependant pas exclu. Et tous les actifs seront probablement concernés. Pourtant, certains s’en sortiront mieux que d’autres : devinez lesquels ! Bien sûr, les plus attractifs : les mieux placés et les plus adaptés aux nouveaux usages, les plus sobres en énergie, c’est-à-dire les plus neufs ou les mieux rénovés. Et comme après toute crise, il s’ensuivra une reprise. Là encore, ce sont ces mêmes biens qui seront les plus demandés.

Pourquoi les fonds d’investissement seront-ils alors mieux armés ?

Les bureaux détenus par les institutionnels, et d’une manière générale par les fonds d’investissement, constituent une fraction bien spécifique du marché. Ces intervenants sont des professionnels qui disposent de beaucoup d’informations, d’expertises et d’études auxquelles le particulier a rarement accès. Les emplacements sont choisis avec rigueur dans des zones tertiaires tendues par une demande pérenne, les locataires sont majoritairement des grandes entreprises, privées et publiques.

Leurs immeubles sont souvent neufs ou font l’objet de travaux réguliers de remise à niveau. Les immeubles vieillissants sont systématiquement cédés… En outre, leurs portefeuilles comptent, la plupart du temps, des centaines de locataires, et des dizaines de milliers de m².

Pourquoi l’épargnant est-il concerné ?

Le besoin en bureaux est né dans les années 60, époque à laquelle à peine 40% des emplois français relevaient du secteur « tertiaire ». Ce secteur des « services » occupe aujourd’hui près de 80% de la population active. Il englobe bien sûr la population dont le lieu de travail est un bureau : près de 10 millions de personnes selon l’IEIF(1), soit un tiers des actifs !

Les utilisateurs de bureaux sont rarement propriétaires des locaux qu’ils occupent. Sur cette période d’une soixantaine d’années de développement des bureaux, de nombreux acteurs ont investi sur cette classe d’actifs immobiliers : les SCPI, les foncières cotées, tous les véhicules spécialisés en immobilier que l’on retrouve dans nos contrats d’assurance-vie, et bien sûr tous les autres fonds institutionnels, qu’ils soient français ou étrangers. La plupart de ces fonds collectent l’épargne des particuliers. En conclusion, il n’y a pas un marché des bureaux mais plusieurs. Il est temps de dissiper ce malentendu, cette méconnaissance des marchés du bureau, cet amalgame médiatique qui veut en faire un marché homogène, monolithique, qui subirait une seule et même tendance. Notons par exemple que, malgré une demande placée de 1,3 millions de m² (environ -45% vs 2019), les loyers de bureaux en Ile-de-France ont augmenté de 2% en 2020. Cette hausse a même atteint 8% dans le quartier central des affaires à Paris !

NOS CONVICTIONS

(1) IEIF : Institut de l’Epargne Immobilière et Foncière (2) La certification NF HQE™ Bâtiments Tertiaires – Neuf ou Ré – novation distingue les bâtiments dont les performances envi – ronnementales et énergétiques correspondent aux meilleures pratiques actuelles. Cette certification concerne les phases de programmation, de conception et de réalisation pour des bâti – ments neufs et en rénovation. (3) BREEAM est une certification d’origine anglo-saxonne. Il s’agit d’une évaluation suivie d’une certification environnementale re – connaissant la performance environnementale du bâtiment à la suite de sa construction ou une fois que des améliorations ont été apportées à l’enveloppe externe, la structure, les services ou la décoration intérieure d’un bâtiment. (4) « Evolution du marché des bureaux en France et à l’étranger » – Jacques BONNET, CNRS – Géocarrefour, Vol. 78/4 – 2003, 381- 294.

Sources : INSEE, IEIF, EuroStat, Les Echos, Colliers International, Statista

Cyrus Conseil : Gestion Immobilière