Un jour sans fin
Dans ce film de 1993, Bill Murray jouait le rôle d’un présentateur météo cynique venu assister à la première sortie de Punxsutawney Phil, une marmotte censée anticiper la précocité éventuelle du printemps. A l’issue de la journée de festivité, le blizzard empêchant tout retour, il est obligé de coucher sur place et commence à revivre en boucle la même journée. Nous y faisons référence dans cette nouvelle chronique car c’est un peu le sentiment qui nous gagne quand on constate le retour des questions concernant l’« elonomics » (Tesla et le bitcoin) mais aussi et malheureusement du Covid. Cependant, à l’instar de ce film devenu culte, chaque journée est légèrement différente de la précédente et l’environnement continue d’évoluer jusqu’à l’issue finale.
Le retour en force de l’ « elonomics »
L’ « elonomics » (contraction d’Elon Musk et d’economics) couvre les deux thèmes d’investissement que les tweets de ce dernier font réagir : les cryptomonnaies (Bitcoin, Doge, Shiba, etc.) et les véhicules électriques, en particulier Tesla.
Concernant Tesla, on peut juste constater que le gain de 300 milliards de dollars de capitalisation sur quelques jours fin octobre (soit l’équivalent d’environ 10% du CAC 40 en une semaine) s’est produit sur l’annonce d’un contrat de 4 milliards de dollars avec Hertz qui n’est en réalité pas encore financé. L’ampleur de ce mouvement ne peut s’expliquer que par l’ampleur du trading optionnel sur le titre : le nominal échangé en quotidien au cours des premières semaines de novembre s’est élevé à 240 milliards de dollars, soit le double du volume quotidien constaté sur l’indice S&P 500. L’achat d’options qui permet en effet d’acheter ou de vendre avec effet de levier explique l’ampleur des mouvements sur le titre. Et ces mouvements ont un impact sur l’ensemble du secteur puisque Rivian (un autre constructeur de véhicules électriques) affichait une capitalisation de 100 milliards d’euros (à peine inférieure à celle de Total) pour un chiffre d’affaires proche de zéro puisque les ventes ne commenceront que l’année prochaine. Pour revenir à Tesla qui est un constructeur plus établi, l’actualisation des cash flows des cinq prochaines années n’explique malgré tout que 5% de la valorisation actuelle, ce qui signifie que 95% de la valeur reconnue par le marché va être crée après 2027. C’est une possibilité, mais une possibilité qui implique qu’il n’y ait pas d’erreurs significatives dans ces prévisions qui semblent incorporer une absence totale de réaction des autres acteurs mondiaux de l’automobile.
Quant au Bitcoin, il a surpassé pendant quelques jours son plus haut atteint en avril dernier (le jour de la mort de Bernie Madoff, une coïncidence d’ailleurs intéressante) sans pour autant que l’on ait constaté une réelle amélioration de l’intérêt économique des cryptomonnaies. En revanche, le coût électrique quotidien continue d’augmenter pour atteindre environ 60 millions de dollars par jours soit 0,5% de la consommation électrique mondiale (l’équivalent des Pays-Bas). Pendant ce temps, le nombre de fraudes sur ce marché est toujours aussi important. Le « Squid Game » token, émis pour surfer sur la notoriété de la célèbre série coréenne de Netflix, a donné lieu à un « rug pull » : un tirage de tapis où des escrocs font grimper artificiellement la valeur d’une cryptomonnaie avant de solder brutalement tout leur stock et de disparaitre. Cet exemple est intéressant car il met en lumière la différence entre la capitalisation théorique et la liquidité d’une monnaie. Au plus haut, le Squid Coin affichait un cours de 2861 dollars pour une capitalisation théorique de 2 milliards de dollars. A l’arrivée, les escrocs ont « seulement » capté 3,3 millions de dollars environ en vendant leurs stocks jusqu’à ce que le cours devienne nul. Ce montant, qui correspond donc à la liquidité réelle qui existait sur la devise, montre bien que le montant affiché de 3 trillions de dollars pour l’ensemble des cryptomonnaies est purement théorique.
La fin d’un jour sans fin ?
Cependant, à l’instar du film, l’environnement change subrepticement et nous semble devenir de moins en moins favorable aux excès que nous venons d’évoquer.
En effet, un élément majeur est en train d’évoluer et va changer de façon significative l’environnement d’investissement : le resserrement des politiques monétaires par les banques centrales et plus particulièrement par la plus importante d’entre elle : la réserve fédérale américaine (la Fed).
Cette dernière, en dépit des discours émollients de son président, se trouve sous la pression des opérateurs. Ces derniers estiment que la réaction de la Fed aux pressions inflationnistes est insuffisante et poussent à une évolution beaucoup plus rapide de sa politique. Les autorités monétaires américaines ont en partie cédé en accélérant le calendrier du « tapering » (réduction des programmes d’achat de titres qui alimentaient la liquidité des marchés). Cependant, il subsiste un écart significatif entre le calendrier des hausses de taux annoncées pour le moment par la Fed et les anticipations des marchés. Cette contradiction devra impérativement être résolue mais cela devrait probablement attendre 2022.
En attendant, la réduction de la liquidité s’impose progressivement sur les marchés. Cela commence à se voir sur certains segments puisque l’évolution de certaines valeurs comme les technologiques est de plus en plus hétérogène. Ainsi, certaines valeurs fétiches de l’époque Covid comme Zoom ou Docusign affichent des baisses d’environ 60 % depuis leurs plus hauts atteints en mars. Il en va de même pour certains titres très en vogue chez les particuliers américains en début d’année comme Gamestop ou Robinhood (en baisse de 20% depuis l’introduction d’avril). Les indices résistent mieux mais ils sont soutenus par un nombre toujours plus restreint de valeurs. Ainsi, sans la performance de seulement 5 titres (sur 3780) la performance globale du nasdaq serait significativement négative sur 2021.
Concernant les cryptomonnaies, la multiplication des escroqueries a fini par attirer l’attention des régulateurs. Celles-ci se multiplient et une étude de l’université de Sydney a pu détecter et étudier 355 manipulations de marchés sur une période de 6 mois. Un des résultats les plus intéressant de l’étude était que la participation volontaire des « investisseurs » reposait d’une part sur l’attrait pour les jeux d’argent et d’autre part sur l’excès de confiance quant à leur capacité de sortir à temps. Plus particulièrement, les Stablecoins qui assurent la liquidité de l’univers des cryptos sont clairement dans le collimateur des autorités américaines. Malheureusement, en dépit de l’augmentation de la pression réglementaire, ces dernières avancent à un rythme beaucoup trop mesuré du fait de querelles de compétence entre les différents régulateurs.
En ce qui concerne nos portefeuilles, la multiplication des excès de marché nous a conduit à réduire notre exposition aux actions en évitant plus particulièrement les segments les plus spéculatifs. Nous conservons une exposition significative aux valeurs américaines et à l’énergie ainsi qu’au dollar qui devrait être un grand bénéficiaire de la politique plus restrictive de la Federal Reserve.

Gilles ETCHEBERRIGARAY
Directeur Général Invest AM
Rédigé le 13 décembre 2021
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Données arrêtées au 11/03/2021 l Source : Invest AM, Morningstar TM, Quantalys, Bloomberg I Classements Morningstar et Quantalys susceptibles d’évoluer dans le temps I SRRI ou échelle de risque allant de 1 – 7. A risque plus faible (1), rendement potentiellement plus faible, – risque plus élevé (7), rendement potentiellement plus élevé I Les performances affichées pour la gestion pilotée représentent la performance moyenne des portefeuilles de référence des différents assureurs. Elles sont calculées nettes de frais de gestion prélevés par Invest AM mais hors frais d’enveloppe (frais de contrat pour les assurances vie et droit de garde pour les comptes titres) I Les performances passées ne constituent pas un indicateur fiable des performances futures et ne sont pas constantes dans le temps.